Trois raisons de repenser la jeunesse, l’agriculture et le développement au Sénégal

A la fin de la première semaine du mois d’août, le PNUD décidait d’allouer 15 milliards de francs CFA au Sénégal dans le cadre de trois programmes : santé maternelle et infantile, violences basées sur le genre et emploi des jeunes intégrant la variable migratoire.

Le samedi 12 août, le Directeur de l’ancienne Agence pour le Retour vers l’Agriculture (ANREVA ou Plan REVA), une des agences ayant survécu à l’alternance politique de mars 2012 et devenue Agence Nationale d’Insertion et de Développement Agricole (ANIDA), recevant au niveau des fermes agricoles de la zone de Mbour, les membres de la Commission « Développement et Aménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale, affirmait l’appui financier de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de la coopération italienne pour créer des milliers de fermes agricoles au Sénégal.

Le mercredi 16, à l’occasion du Conseil Présidentiel sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, tenu sous l’égide du Président Macky Sall, le Ministre de l’Enseignement supérieur affirmait qu’en rapport avec sa démographie, l’Afrique serait le continent d’avenir pourvu que l’offre de formation soit adéquate. La vision d’un enseignement et d’une recherche universitaires de type nouveau est intégrée dans le label « Etudier au Sénégal ». Ce label exige certaines ruptures comme la réorientation de la formation dont le Président esquisse ici le sens : «La première décision est de réorienter le système d’enseignement supérieur vers les sciences, la technologie et les formations professionnelles courtes»; l’augmentation du montant des droits d’inscription (qui n’a pas changé depuis que j’étais étudiant : la paix sur le campus était à ce prix) ; le retour à l’orthodoxie dans les critères d’attribution des bourses avec la priorité accordée aux performances pédagogiques et enfin une nouvelle carte universitaire qui verrait l’apparition de nouveaux centres universitaire dont un multi centré sur la région de Kaolack (centre de l’ancien bassin arachidier) serait orienté vers les filières agricoles.

La concomitance de ces faits est pour nous un prétexte pour repenser la cohérence des politiques et des programmes dans le domaine du développement. Dans les domaines de la population (démographie), de la santé, de l’éducation ou de l’emploi, nos politiques semblent être bien pensées et conformes aux normes de la pensée économique, c’est-à-dire respectant certaines vieilles règles comme le « principe de cohérence de Tinbergen » et le « principe d’efficience de Mundell ». Cependant, à l’évidence, il apparaît que cette conformité de nos politiques aux règles économiques soit juste une vue de l’esprit. En effet, très souvent, ces politiques ont des objectifs contradictoires et mettent en place des programmes qui produisent des effets qui s’annihilent.

Trois principes

Ces trois faits qui engagent le développement du pays ne semblent n’avoir en commun que la période dans laquelle ils ont médiatisées. Pourtant, ils trouvent tous leur justification et leur rationalité dans la synergie des actions en vue de la capture du dividende démographique. Néanmoins, cette opportunité risque d’être perdue à cause du manque de cohérence des politiques. Ce manque de cohérence est noté à trois niveaux.

  • Au premier niveau, se trouve l’incohérence des politiques publiques. On peut parier que le Ministère de l’enseignement supérieur qui planifie la création d’un centre universitaire spécialisé sur l’agriculture dans la région de Kaolack (une partie du financement serait acquis), le Ministère de l’Agriculture dont dépend l’Agence Nationale d’Insertion et de Développement Agricole  (ANIDA) qui reçoit des financements des partenaires pour créer des fermes et le Ministère des Finances qui a signé avec le PNUD les documents des trois programmes dont celui de l’emploi des jeunes en rapport avec la migration, n’ont pas échangé pour étudier comment coordonner leurs actions dans l’efficacité et l’efficience.
  • Au second niveau, se trouve la cohérence de l’appui au développement. Un des 5 principes directeurs de la Déclaration de Paris de 2005, sur l’efficacité de l’aide était le principe d’alignement. Le postulat explicite de ce principe est que l’aide apportée par le bailleur ou le partenaire au développement s’inscrive harmonieusement dans les objectifs et priorités définis par les gouvernements, dépositaires de la souveraineté et du mandat populaires. Cependant, pour que ce principe explicite ait un sens, il doit être soutenu par un principe implicite qui veut que les actions des partenaires soient cohérentes et se renforcent mutuellement. Rien ne laisse penser que le PNUD, la BAD et la Coopération italienne ont échangé et harmonisé leurs vues et leurs actions déclinées en ce mois d’août.
  • Au troisième niveau, se trouve le principe de l’adhésion populaire qui est le garant de la réussite de toute politique publique. Après un constat d’échec de plusieurs politiques et programmes, on semblait avoir tiré la leçon des erreurs de l’approche « Top Down ». Or, l’histoire semble bégayer. On s’engage dans un processus de réflexion sur l’avenir des jeunes, sur leur engagement dans l’agriculture sans les préalables. Cela me rappelle les tailleurs traditionnels dans le Nord du Sénégal. On les appelait les « Ya Mi Yi Ma » que l’on peut traduire par « Vas, c’est bon, je t’ai vu ». En fait, ces tailleurs traditionnels étaient tous simplement célèbres car ils ne prenaient jamais les mesures des clients pour lesquels ils cousaient les habits : il leur suffisait d’un seul  regard pour ajuster leurs coutures. Ce symbole de l’archaïsme ou plutôt de l’informalité s’applique aux actions politiques et programmatiques concernant les jeunes et l’agriculture. Il suffit aux politiques de voir les marchands ambulants envahir les rues de Dakar ou les migrants clandestins tenter la traversée de l’Atlantique pour  rentrer en Europe pour identifier en un tour de magie, les réponses à leurs problèmes.

La jeunesse: questions pour le Sénégal

jeunes1En effet, que connait-on de ces jeunes ? Qui sont-ils (répartition par âge, par sexe, par niveau d’instruction, par statut matrimonial, par milieu de résidence) ? Que pensent-ils sur tout et sur l’agriculture en particulier ? Comment pensent-ils ? Quelles sont leurs trajectoires ? Qu’ont-ils de commun ? Qu’est ce qui les différencie ? Quels sont les modèles qui les inspirent ? Quelles sont leurs valeurs et leurs croyances ? Quelles sont leurs aspirations ? Où veulent-ils aller ? Comment veulent-ils y aller ? Avec quels moyens ? Par quels chemins ? Avec qui, veulent-ils y aller ? De quels soutiens ont-ils besoin ? Comment, veulent-ils être aidés ?

Pour revenir à l’agriculture, de quelle agriculture veulent-ils ? Dans quels espaces, cette agriculture doit-elle être faite : dans le milieu rural ou aux abords des villes ? De quelles villes : de Dakar, des capitales régionales, des petites villes ? Veulent-ils faire exclusivement de l’agriculture ou veulent-ils la combiner avec d’autres activités ? Quelles sont ces activités ? Appréhendent-ils l’agriculture comme une activité durant toute leur vie active ou comme une activité transitoire ? Ayant récusé l’agriculture de leurs pères, comment envisagent-ils une agriculture qu’ils seraient fiers et prêts à transmettre à leurs enfants ?

La prise en compte de ces questions serait de nature à articuler l’emploi des jeunes, l’agriculture et le développement.

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